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OMNES-BLOG

Des chroniques portant surtout sur tout ...

Par le sang versé - Paul Bonnecarrère

Par le sang versé - Paul Bonnecarrère

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Voici un livre qui se dévore. Paru en 1968, il s’ agit sans conteste d’un des ouvrages de référence sur le sujet de la guerre d’ Indochine. Ce n’ est pas un livre politique ou historique au sens académique des termes mais bien un roman, le récit de légionnaires qui se battent loin de la France dans une guerre oubliée. La chronique quotidienne de soldats français en rupture de Vichy ou héros de la France libre, de soldats de la Wehrmacht ou des marches de l'Est européen, bref toute une génération broyée par un conflit planétaire…

Le titre fait bien entendu allusion à la possibilité pour les légionnaires de devenir français «par le sang versé». A cette époque en effet, on n'hésitait pas à dire qu'on devenait français «par le sang reçu ou par le sang versé».

Ce grand livre d’ aventures est plus particulièrement centré sur les destinées du légendaire capitaine Antoine Matteï et des hommes de sa compagnie : le 3ème Régiment Étranger d'Infanterie (REI).

Pour rappel, 309 officiers, 1.082 sous-officiers et 9.092 légionnaires sont morts durant la guerre d’Indochine.

Engagé volontaire au 1er Régiment de chasseurs parachutistes en 1944, Paul Bonnecarrère reste jusqu'à la fin des hostilités. Il devient alors correspondant de guerre et on le trouve partout où la France se bat encore : Indochine, Tunisie, Maroc, Algérie, Suez. Au cours de ces campagnes, il vit avec les troupes de choc de la Légion et lie de solides amitiés qui le font rêver d' un ouvrage sur les dernières guerres coloniales de l'armée française. Un jour, il se trouve en perdition au Sahara où son avion vient de s'abattre et il est recueilli par une patrouille de légionnaires.

« C'est alors, dit-il, que je décidai que mon livre porterait sur la Légion étrangère. »

Dans ce livre Paul Bonnecarrère ne nous livre pas la Grande Histoire comme instruite dans les manuels mais dépeint pour nous cette guerre d’escarmouches, d’embuscades, une guerre qui aura duré de 1946 à 1954. La guerre du sang, de la boue et de la souffrance du quotidien. celui d'une guerre de coups de main, de traques, parfois sale, parfois glorieuse, toujours à recommencer.

Le récit est construit comme une suite d’ épisodes et l’ auteur nous plonge en plein cœur de l’ action comme s’il s’ agissait justement d’un reportage de guerre. Les scènes de combat y sont décrites certes avec force détails mais tout en restant claires pour le lecteur profane. Décrivant ‘ses’ légionnaires comme une grande famille, Bonnecarrère excelle aussi dans l’ art du portrait. En effet, sans jamais tomber dans l’ exaltation militaire, il met parfaitement en exergue le sens du devoir et du sacrifice, le courage et l’ héroïsme de ces hommes.

Le style, lui, est précis, alerte et souvent drôle … et oui, drôle .. ! C’est là un trait caractéristique de ce roman, l’ auteur nous livre de nombreuses anecdotes amusantes du corps légionnaire. Cette alternance de descriptions sérieuses où l’ horreur de la guerre est omniprésente avec des passages plus ‘légers’ exaltent et glorifient l’ humanité transpirant de ces ‘bêtes de combat’ que sont les légionnaires.

Le lecteur ne peut que développer et cultiver une irrépressible empathie envers la compagnie du capitaine Matteï…Il est littéralement immergé dans le quotidien des combattants, partageant avec eux tant leurs moments de griserie, d’ euphorie ou d’ allégresse, que ceux de détresse, de tourment ou de désolation.

Le lecteur gardera longtemps en mémoire, parmi les péripéties narrées, l’ épisode écœurant où les légionnaires sont envoyés faire les démineurs belges (avec une masse, ils tapent régulièrement sur les rails d'une voie ferrée piégée par les Viets), la poursuite d’ Ho-Chi-Minh dans la jungle du Sud-Tonkin, l’odyssée du train blindé ou encore le tournant désastreux de Cao Bang.

Ce dernier épisode est le point d’orgue du roman. L’armée française décide d’évacuer Cao Bang, au nord du Tonkin, lassée par les embuscades continuelles au bord de la Route Coloniale 4. Mais il ne faut pas perdre la face. L’évacuation aura donc lieu à pied ! Et c’est sur cette route que dans les rangs de la colonne qui part et dans ceux de la colonne de secours qui monte, des milliers d’hommes seront absorbés par la jungle et exterminées par les divisions Viets. Seuls quelques dizaines de survivants hirsutes, hagards, émergent de l’enfer vert. Cette tragédie de la RC4, extraordinairement dépeinte sur plusieurs dizaines de pages constituera un désastre et un massacre comme il en est peu dans l'histoire de France.

Mais, comme nous l’ avons évoqué plus haut, ces moments d’ effroi cohabitent avec des faits plus légers où l’humour est en première ligne et la nature facétieuse des soldats contée avec emphase et truculence. Ainsi par exemple en est-il lorsque le capitaine Antoine Matteï et ses hommes sont sommés d’ accueillir et de protéger dans leur campement des sœurs religieuses annamites menacées … ou encore lorsque, pour les ravitailler en tabac, les légionnaires n’ hésitent pas à utiliser des tirs de mortier vers une cotonnière occupés par les soldats d’infanterie coloniale.

Bref, ce livre est un formidable livre de mémoire qui nous tient en haleine, nous fait rire aussi, et nous livre des épisodes à peine croyables et pourtant si vrais.

Dans cette épopée sanglante, la Légion a perdu plus d'hommes que pendant les deux guerres mondiales. Il lui a fallu se mesurer dans une nature hostile avec un ennemi invisible, fanatique et d'une cruauté dépassant toute imagination ; déjouer embuscades et pièges.

Ce genre de livre donne de la chair et du sang à l’Histoire qui perd son sens profond quand elle feint d’être exclusivement une science …

Sébastien

Oeuvres de Paul Bonnecarrère :

  • Par le sang versé, La Légion étrangère en Indochine, Fayard, 1968

  • Qui ose vaincra, les parachutistes de la France libre, Fayard, 1971

  • La guerre cruelle, légionnaires en Algérie, Fayard, 1972

  • Rosebud, Fayard, 1973 (avec Joan Herningway)

  • Douze légionnaires : d'après son feuilleton télévisé, Fayard, 1974

  • Ultimatum, Fayard, 1975

  • Le triangle d'or, Fayard, 1976

  • Une Victoire perdue, Fayard, 1978

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